Une menace bien réelle, et de plus en plus fréquente
Le 13 mai 2025, en plein cœur de Paris, un fait divers glaçant a mis en lumière une menace croissante qui plane sur les détenteurs de cryptomonnaies : la fille du dirigeant de la société Paymium a échappé de peu à un enlèvement orchestré en pleine rue. Le commando, cagoulé et armé, visait explicitement à obtenir des informations sur les avoirs numériques du chef d’entreprise. Cet événement, rapporté par Le Parisien, marque un tournant : les attaques physiques ciblant les acteurs du secteur crypto ne relèvent plus de la fiction.
Si les risques numériques (piratages, phishing, arnaques) sont bien documentés, la réalité des menaces physiques est encore largement sous-estimée. Pourtant, elles se multiplient, en France comme ailleurs, ciblant des individus identifiés comme détenteurs de portefeuilles numériques conséquents.
Cet article propose de faire le point sur cette tendance alarmante, d’en comprendre les ressorts, et surtout d’apporter des conseils concrets pour s’en prémunir.
Une explosion des attaques physiques dans le monde… notamment en France
Le développeur américain Jameson Lopp, connu pour son travail sur la cybersécurité dans le domaine des cryptomonnaies, recense depuis plusieurs années les attaques physiques visant des particuliers pour les forcer à transférer leurs actifs numériques. Son dernier rapport indique une nette accélération de ces incidents : entre janvier 2024 et avril 2025, plus de 55 attaques ont été recensées dans le monde, un record. Plus inquiétant encore : 7 d’entre elles ont eu lieu en France.
Selon Cryptoast, 26 % des attaques physiques liées aux cryptomonnaies recensées dans le monde en 2025 ont eu lieu sur le territoire français, un chiffre anormalement élevé au regard du poids économique réel du pays dans l’écosystème mondial du Web3.
Pourquoi la France est-elle si ciblée ?
Plusieurs facteurs expliquent cette surreprésentation :
- Une médiatisation croissante : les levées de fonds spectaculaires, les NFT de célébrités ou les projets Web3 tricolores attirent l’attention du grand public — et des criminels.
- Des fuites de données personnelles : de nombreux acteurs du secteur (entrepreneurs, influenceurs, développeurs) voient leurs coordonnées circuler en ligne à cause de failles dans des bases de données ou de négligences sur les réseaux sociaux.
- Une méconnaissance du fonctionnement des cryptos chez les criminels : certains pensent qu’il suffit d’un mot de passe pour accéder instantanément à des millions d’euros. D’où l’usage de la contrainte physique pour « forcer » l’accès.
Des attaques de plus en plus violentes et ciblées
L’affaire de Paris en mai 2025 n’est pas isolée. Depuis le début de l’année, plusieurs incidents similaires ont été signalés :
- À Londres, un investisseur en Bitcoin a été séquestré pendant 48 heures dans son appartement avant de réussir à s’échapper. Il avait été repéré via ses publications sur Twitter.
- En Estonie, un entrepreneur australien a échappé de justesse à une tentative de kidnapping menée par de faux ouvriers venus « réparer » une canalisation. Il ne doit sa survie qu’à sa réaction rapide.
- En janvier 2025, David Balland, cofondateur de Ledger, a été enlevé avec sa compagne à leur domicile à Méreau (Cher). Les ravisseurs ont sectionné un de ses doigts et envoyé une vidéo à son associé pour exiger une rançon en cryptomonnaies. Le couple a été libéré par le GIGN, et plusieurs suspects ont été arrêtés.
Dans plusieurs cas, les criminels recourent à des méthodes brutales : menaces armées, séquestrations, violences physiques, voire mutilations. Lors de l’affaire de Paris, les malfaiteurs ont sectionné un doigt de la victime pour envoyer une preuve de vie et faire pression sur sa famille.
Ces actes, très éloignés du piratage classique, relèvent de la criminalité organisée. Ils ciblent des individus identifiés, géolocalisés, surveillés.
Qui sont les cibles ?
Les victimes ne sont pas toujours des milliardaires ou des figures médiatiques. Au contraire, la plupart sont :
- Des entrepreneurs du secteur Web3 ou DeFi
- Des investisseurs ayant fait fortune discrètement
- Des influenceurs ou formateurs crypto trop bavards sur leurs revenus
- Des salariés d’entreprises crypto ou de plateformes d’échange
Il suffit parfois d’une publication sur un réseau social, d’une interview dans un média spécialisé, ou d’une fuite de base de données (comme celles de Ledger ou Celsius) pour qu’une cible soit identifiée. Les criminels peuvent alors remonter à une adresse, un emploi du temps, une famille.
Comment se protéger ? 10 conseils essentiels
Face à cette menace croissante, il est crucial d’adopter une posture de cybersécurité étendue à la sphère physique. Voici 10 mesures concrètes à mettre en œuvre.
1. Rester discret sur ses avoirs
Ne parlez pas de vos investissements, gains ou possessions en public ou sur les réseaux. Évitez de mentionner des montants ou des projets liés à la crypto, même de manière anodine. C’est la première barrière.
2. Séparer identité réelle et identité numérique
Utilisez un pseudonyme pour vos activités en ligne. Ne reliez jamais vos profils sociaux pro/perso à vos portefeuilles, blogs ou chaînes crypto. Plus vous êtes dissocié, moins vous êtes traçable.
3. Surveiller les fuites de données
Inscrivez-vous sur des services comme Have I Been Pwned https://haveibeenpwned.com/ ou Firefox Monitor pour savoir si votre email ou numéro figure dans des bases de données piratées. En cas de fuite, changez vos mots de passe et sécurisez vos accès.
4. Adopter une hygiène numérique irréprochable
- Activez systématiquement l’authentification à deux facteurs.
- Sécurisez vos emails avec des clés PGP ou Yubikeys.
- N’utilisez jamais les mêmes mots de passe.
- Mettez à jour vos systèmes régulièrement.
5. Utiliser des portefeuilles froids (cold wallets)
Vos avoirs principaux doivent être stockés hors ligne, sur un portefeuille matériel (Ledger, Trezor…). Aucun accès via Internet = aucun vol possible à distance. Et en cas d’agression, ces dispositifs peuvent être inaccessibles sans code PIN.
6. Séparer les montants et les portefeuilles
Ne mettez pas tout dans un seul portefeuille. Créez-en plusieurs, avec des montants séparés. Un portefeuille accessible « de surface » (avec un petit montant) peut servir de leurre en cas d’agression.
7. Préparer un plan d’urgence (dead man's switch)
Des services comme Sarcophagus ou Unchained proposent des mécanismes qui transmettent des instructions (ou des fonds) à un tiers si vous disparaissez ou si vous ne confirmez pas une activité périodique. Cela permet de protéger vos proches… ou vos avoirs.
8. Former ses proches
Vos proches doivent connaître les risques, les codes, et les consignes de sécurité. Ils doivent aussi éviter de divulguer vos activités sans y penser.
9. Souscrire à une assurance "K&R" (Kidnapping and Ransom)
Certaines compagnies proposent des assurances spécialisées, qui couvrent les frais liés à une tentative d’enlèvement, et mettent à disposition des experts négociateurs. Coût élevé, mais utile pour les profils à risque.
10. Ne pas hésiter à solliciter des professionnels
Des sociétés de cybersécurité privée peuvent auditer votre exposition (géographique, numérique, comportementale) et proposer un plan de sécurité. Pour les profils très visibles, c’est une option pertinente.
Les bonnes pratiques pour se protéger en ligne
Suite à l’enlèvement du cofondateur de Ledger, David Balland, de nombreuses voix dans l’écosystème crypto ont appelé à renforcer la sécurité personnelle, notamment en ligne. Parmi elles, Éric Larchevêque, également cofondateur de Ledger, a publié un tweet marquant le 9 avril 2024.
Entrepreneurs, attention 🚨
— Eric Larchevêque (@EricLarch) May 15, 2025
🕵️♂️ Vos données personnelles sont accessibles en 2 clics sur des sites comme Infogreffe ou Pappers. Avec potentiellement l’adresse de votre domicile !
Et une fois qu’elles sont en ligne, vous devenez une cible potentielle :
➡️ Harcèlement
➡️…
Voici quelques bonnes pratiques recommandées pour se protéger :
- Supprimer ou anonymiser ses données publiques : supprimez votre domiciliation sur les sites d’informations légales comme Pappers, Société.com, Infogreffe, Verif, etc. Cela peut nécessiter une requête juridique ou l’aide d’un avocat.
- Éviter l’étalage de richesse : ne pas publier de contenus ostentatoires (montres, voitures, screenshots de gains, etc.) sur les réseaux sociaux.
- Utiliser une adresse professionnelle distincte : dissociez votre domicile de votre activité crypto. Louer un bureau virtuel pour les documents officiels est une solution.
- Protéger ses comptes avec des moyens robustes : activer la double authentification (2FA), utiliser un gestionnaire de mots de passe, et privilégier des clés physiques comme YubiKey.
- Sécuriser sa maison : alarme, vidéosurveillance, porte renforcée… autant de moyens dissuasifs face à des attaques ciblées.
- Anonymiser les portefeuilles crypto autant que possible : évitez de lier votre identité à une adresse publique, et utilisez des solutions comme CoinJoin ou des wallets avec confidentialité renforcée.
Conclusion : la sécurité crypto ne se limite pas au numérique
Les cryptomonnaies ont bouleversé notre rapport à la valeur, à la finance, à l’indépendance. Mais elles ont aussi changé notre exposition au risque. Dans un monde où chacun peut détenir plusieurs millions sur une simple clé USB, la sécurité devient une responsabilité individuelle forte et globale.
Les attaques ciblées que connaît la France ne sont plus des cas isolés : elles traduisent une prise de conscience par les criminels du pouvoir réel (et dématérialisé) de la crypto. Face à cela, il est temps d’élever nos standards de sécurité.
Se protéger, c’est d’abord faire preuve de discrétion, ensuite sécuriser ses outils, mais surtout anticiper le pire pour ne pas avoir à le vivre.