L’Union européenne explore actuellement l’idée de centraliser la régulation des cryptomonnaies en confiant un rôle crucial à l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). Cette instance pourrait devenir le superviseur unique pour les plateformes d’échange crypto et les prestataires de services sur actifs numériques, au lieu d’un contrôle fragmenté par les autorités nationales.
Pourquoi l’UE veut recentraliser ?
1. Lutte contre la fragmentation réglementaire
Avec l’entrée en vigueur du règlement MiCA, chaque État membre dispose de son propre régulateur pour accorder des licences aux acteurs crypto. Cette multiplicité crée des disparités d’interprétation et augmente le risque d’arbitrage réglementaire entre pays.
Centraliser la supervision avec l’ESMA permettrait d’uniformiser les règles et de garantir une régulation plus cohérente au sein du marché unique.
2. Une “SEC européenne” pour renforcer la crédibilité
Le modèle visé s’inspire de la Securities and Exchange Commission américaine : un organisme fort, capable de délivrer des autorisations, de superviser directement et d’imposer des sanctions.
Cette structure pourrait renforcer la confiance des investisseurs et accroître la transparence des marchés crypto européens.
3. Une supervision plus efficace sur le plan transfrontalier
En supervisant les grandes plateformes et acteurs transfrontaliers, l’ESMA pourrait mieux détecter les risques systémiques, coordonner les contrôles et intervenir de façon plus uniforme.
Par ailleurs, une telle centralisation pourrait alléger la charge de conformité pour les entreprises opérant dans plusieurs pays, en leur évitant de naviguer entre 27 régulateurs différents.
Les inquiétudes soulevées
a) Une perte de souveraineté réglementaire
Certains États, notamment les plus petits, craignent que la délégation à l’ESMA ne réduise leur influence. Ils redoutent aussi un surcroît de bureaucratie, qui pourrait compliquer la supervision.
b) Un timing délicat
Certains experts estiment qu’il est prématuré de “changer les règles du jeu” : le cadre MiCA est encore récent, et les autorités nationales commencent seulement à se structurer pour l’appliquer.
Cette réforme pourrait ralentir les processus d’autorisation et détourner des ressources de la mise en œuvre opérationnelle.
c) Des coûts réglementaires potentiellement plus élevés
Une supervision centralisée pourrait entraîner des coûts de conformité accrus pour les entreprises, surtout si l’ESMA impose des exigences plus rigoureuses. Certains acteurs estiment que ces nouvelles charges pourraient freiner l’innovation, notamment les startups ou les acteurs émergents du secteur crypto.
Où en est le projet ?
- La Commission européenne devrait proposer un projet formel d’ici décembre 2025, dans le cadre d’un “paquet d’intégration des marchés”.
- L’ESMA pourrait obtenir un pouvoir d’autorisation, de supervision et de sanction directe sur les plateformes crypto les plus importantes et transfrontalières.
- Malgré la pression de certains régulateurs, l’ESMA rappelle que le cadre actuel de MiCA prévoit principalement une supervision nationale, ce qui limite légalement son pouvoir direct.
- Des voix institutionnelles soutiennent l’idée d’un organe de supervision unique pour rendre les marchés de capitaux européens plus unifiés et compétitifs.
Impact potentiel sur le monde crypto
- Pour les exchanges : une supervision unifiée pourrait simplifier l’accès au marché européen mais imposer des exigences plus strictes pour les grandes plateformes.
- Pour les PSAN : obtenir des licences auprès d’un régulateur unique pourrait réduire la complexité administrative, mais certaines obligations seraient renforcées.
- Pour les investisseurs : plus de transparence, des standards plus élevés et une protection accrue pourraient renforcer la confiance, surtout pour les particuliers.
- Pour l’innovation : un cadre plus centralisé pourrait dissuader certains projets décentralisés ou très spécialisés s’ils jugent la charge réglementaire trop lourde.
- Sur le plan géopolitique : si l’UE parvient à créer un régulateur crypto puissant, cela pourrait renforcer sa compétitivité par rapport à d’autres juridictions.
Conclusion
La volonté de l’Union européenne de confier la supervision des cryptos à un régulateur unique — l’ESMA — marque un tournant stratégique. Ce projet vise à garantir une régulation harmonisée, à réduire les risques d’arbitrage et à renforcer la confiance dans le marché européen des crypto-actifs. Néanmoins, il suscite des réticences : perte de souveraineté nationale, coûts accrus pour les entreprises, et un timing jugé risqué alors que MiCA vient tout juste d’entrer en action.
L’équilibre entre efficacité réglementaire et préservation de l’innovation sera déterminant dans les prochains mois, alors que la proposition pourrait devenir officielle d’ici décembre 2025.

