Depuis plusieurs semaines, une rumeur intrigue les marchés financiers et les observateurs de la crypto : Pékin envisagerait d’autoriser l’émission de stablecoins libellés en yuan, mais uniquement via Hong Kong. Une stratégie subtile, qui permettrait à la Chine de tester cette innovation tout en gardant une distance réglementaire. L’objectif ? Offrir une alternative crédible aux stablecoins adossés au dollar – en plein essor depuis le lancement du GENIUS Act par l’administration Trump – et préparer, à terme, une internationalisation du yuan à l’ère numérique.
Points clés à retenir
- Pas de virage pro-crypto officiel en Chine : Pékin maintient une ligne dure vis-à-vis du Bitcoin et des cryptomonnaies.
- Hong Kong comme laboratoire : la Région administrative spéciale (RAS) est utilisée pour tester des politiques financières innovantes.
- Projet de stablecoin : la Banque de Chine, via sa filiale locale, envisagerait de demander une licence à Hong Kong.
- Objectif implicite : tester l’usage d’un stablecoin sous contrôle étatique, hors du strict cadre continental.
Un contexte chinois toujours ambigu face aux cryptos
Depuis 2017, la Chine continentale a maintenu une politique hostile à l’égard des cryptomonnaies. Le trading et le mining de Bitcoin y sont interdits, et Pékin continue de dénoncer les « risques financiers et sociaux » liés aux actifs numériques. Mais cette ligne dure s’accompagne d’une stratégie parallèle : développer des solutions de monnaie numérique sous contrôle étatique. L’exemple le plus avancé est le e-CNY, le yuan numérique de la Banque populaire de Chine, déjà testé dans plusieurs grandes villes. Hong Kong, en revanche, bénéficie d’un statut particulier : en tant que Région administrative spéciale (RAS), elle dispose d’une autonomie réglementaire lui permettant d’expérimenter des initiatives interdites sur le continent. Pékin se sert ainsi de la ville comme d’un laboratoire financier.
Hong Kong, nouveau hub asiatique des stablecoins
Le 1er août 2025, Hong Kong a mis en place un cadre réglementaire inédit baptisé LEAP (Licensing for Electronic Asset Pegging). Cette loi impose une licence obligatoire pour tout émetteur de stablecoin, l’obligation de maintenir des réserves liquides équivalentes à 100 % des jetons en circulation, ainsi que des contrôles stricts en matière de KYC/AML (identité des clients et lutte contre le blanchiment). Ce dispositif, salué comme le plus avancé d’Asie, place la ville presque au niveau des États-Unis, qui dominent aujourd’hui le secteur grâce au GENIUS Act. Rapidement, plusieurs géants financiers ont manifesté leur intérêt : Standard Chartered, mais aussi des poids lourds chinois comme JD.com et Ant Financial. Selon le Hong Kong Economic Journal, la Banque de Chine pourrait elle-même déposer une demande via sa filiale locale. La grande question reste ouverte : ce futur stablecoin sera-t-il adossé au dollar hongkongais (HKD) ou au yuan (CNY) ? Un choix loin d’être anodin : un stablecoin en HKD renforcerait l’écosystème financier local, tandis qu’un stablecoin en CNY marquerait une avancée historique dans l’internationalisation de la monnaie chinoise.
Une réponse directe au dollar et au GENIUS Act
L’intérêt chinois pour les stablecoins ne peut se comprendre sans évoquer le contexte américain. Depuis 2024, l’administration Trump a fait de la régulation des stablecoins une priorité avec son GENIUS Act, un texte qui a contribué à un véritable boom des stablecoins adossés au dollar. Résultat : le marché mondial des stablecoins, déjà évalué à 3 800 milliards de dollars, est désormais dominé à plus de 95 % par des jetons en USD (USDT, USDC, PYUSD, etc.). Pour Pékin, ce déséquilibre représente une menace : plus les stablecoins en dollar s’imposent dans les paiements internationaux, plus le billet vert renforce sa domination au détriment du yuan. Un stablecoin en CNY, même limité à Hong Kong, pourrait constituer un outil de contre-pouvoir monétaire, en offrant aux entreprises et investisseurs une alternative crédible au dollar dans les transactions numériques.
Hong Kong, entre dynamisme crypto et prudence réglementaire
La transformation de Hong Kong en hub crypto ne date pas d’hier. Dès 2022, la ville a publié une première politique officielle sur les actifs numériques, réaffirmée en 2024 avec une volonté claire : devenir une place mondiale des cryptos et de la finance décentralisée. Aujourd’hui, les signes sont visibles dans la vie quotidienne : des guichets d’échange crypto accueillent désormais les clients dans les centres commerciaux, des centaines de distributeurs automatiques de Bitcoin jalonnent les rues, et des événements internationaux comme le Bitcoin Asia Summit attirent des figures de premier plan – à l’image d’Eric Trump, récemment invité en tant qu’orateur. Mais cette ouverture s’accompagne d’une grande prudence : la Hong Kong Monetary Authority (HKMA) a déjà indiqué qu’elle ne délivrerait qu’un petit nombre de licences lors de la première vague, afin de tester le dispositif et limiter les risques. Certains acteurs, refroidis par des exigences de conformité jugées coûteuses, ont d’ailleurs décidé d’adopter une stratégie d’attente, préférant observer les premiers émetteurs avant de se lancer.
Quels enjeux pour la Chine et l’internationalisation du yuan ?
Le lancement d’un stablecoin en CNY à Hong Kong aurait des implications multiples.
Financières et monétaires
Diversifier l’offre de stablecoins face à l’hégémonie du dollar. Offrir un outil de paiement numérique pratique pour le commerce international. Tester l’usage offshore du yuan sans risquer de déstabiliser l’économie continentale.
Technologiques
Accélérer l’innovation autour de la blockchain en Chine, tout en gardant un contrôle étatique. Créer des synergies avec le e-CNY, qui reste un projet domestique centré sur les paiements internes.
Géopolitiques
Renforcer l’influence chinoise en Asie face aux initiatives américaines. Positionner Hong Kong comme un pont financier entre la Chine et le reste du monde. Expérimenter une stratégie de « soft power monétaire », en incitant les partenaires commerciaux à utiliser le yuan numérique.
Scénarios possibles : quel avenir pour ce projet ?
- Adoption rapide et succès régional : le stablecoin chinois, adossé au yuan, s’impose dans les paiements transfrontaliers en Asie et devient une alternative crédible aux stablecoins en dollar, notamment pour les échanges avec les pays participant aux Nouvelles Routes de la soie.
- Succès limité mais stratégique : le stablecoin trouve un usage restreint à Hong Kong et dans quelques corridors commerciaux. Pékin l’utilise avant tout comme un outil d’expérimentation et de signal politique.
- Blocages et résistances : les contraintes réglementaires freinent l’adoption, les partenaires internationaux restent méfiants face au contrôle étatique chinois, et le yuan peine à concurrencer le dollar en dehors de l’Asie.
Conclusion
Hong Kong confirme son rôle de laboratoire financier de la Chine. En autorisant l’émission de stablecoins, la ville se place à l’avant-garde en Asie, attirant investisseurs, banques et géants technologiques. Pour Pékin, l’enjeu dépasse le simple test technologique : il s’agit d’une bataille monétaire mondiale, où le yuan cherche à se frayer un chemin face au dollar. Un éventuel stablecoin en yuan lancé depuis Hong Kong pourrait marquer une étape décisive dans cette confrontation silencieuse entre Washington et Pékin – et redessiner les équilibres financiers de la prochaine décennie.